Ca
existe. Les Dix Commandements existent en version US. Sans même que
ce soit un spectacle local. Vos yeux ne vous trompent pas : il s'agit bel
et bien de l'adaptation US du spectacle musical français, celui de
Chouraqui et d'Obispo, exporté contre toute attente et sans que celà
n'ait fait l'objet d'une quelconque annonce
C'est tout de même
rageant : pour une fois que la France exporte un spectacle, personne ne
le sait. Est-ce par modestie ? Ou plutôt parce que sorti du nom de
Chouraqui et des (larges) bases de sa mise en scène, la version US
n'a pas grand chose à voir avec la nôtre, comme Tycoon n'avait
que peu de rapport avec ce bon vieux Starmania ? Un coup d'il au staff
nous donne la réponse : mise en scène signée Robert
Iscove d'après Elie Chouraqui, paroles entièrement
refaites, tout comme les chansons. Obispo n'a pas eu la chance de Michel
Berger, toute sa participation a été purement et simplement
effacée. Mais est-ce une perte ? |
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Non,
au contraire. Entièrement assurée par Patrick Leonard (producteur-compositeur
ayant travaillé avec Madonna, Elton John, Jeff Beck ou Roger Waters)
la bande-son de The Ten Commandments s'émancipe de la partition
originale sur plusieurs points. Tout d'abord, au-delà d'un amour
prononcé des deux compositeurs pour les refrains bien sentis, elle
témoigne de la différence de style existant entre les comédies
musicales à la française et les Musicals à l'américaine.
Aux Dix Commandements les performances purement solo et les duos ; aux
Ten Commandments les intervenants multiples et les churs de tragédies
grecques pour incarner la plèbe. Ensuite, les compositions de Patrick
Leonard, plus "up tempo" que celles d'Obispo, savent aussi se
montrer plus variées, allant jusqu'à inclure un blues plutôt
étrange en fin de spectacle. Enfin, les chansons anglaises se démarquent
par une niveau de qualité globalement bien plus élevé.
Seul regret, à remplacer toutes les chansons de la VF, on gagne
en qualité, on évite les grosses daubes (pas de L.I.B.R.E)
mais on perd les quelques coups de génie. Inutile d'espérer
un morceau équivalent à "Mon Frère" lors
de l'affrontement aux abords de la mer rouge, y'en a pas.
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Mais
les surprises apportées par The Ten Commandments ne s'arrêtent
pas à la nouvelle bande son ni à sa seule existence. La plus
grosse surprise tient sur la jaquette, où l'on apprend QUI tient
le rôle principal. Ni plus ni moins que M. Batman Forever, j'ai nommé
"Jim Morrisson" Val Kilmer. Dans la série "qu'est
ce qu'il fout là, le film", on fait difficilement mieux ! Au
début, on a beau dire, ça surprend. Val Kilmer jouant Moses
jeune, ça fait bizarre, côté physique j'entends. C'était
pareil pour Daniel Levi, me dira-t-on. Sans doute, mais les costumiers avaient
eu la bonne idée d'habiller ce dernier de pied en cap pendant tout
le spectacle. Leurs homologues américains n'ont pas eu cette présence
d'esprit. Kilmer n'ayant plus le physique de Madmartigan de nos jours, je
vous présente donc Moses jeune, avec bouée et muscles flasques
pas en bonus. On a connu plus sex. |
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Ceci
dit, ce point-là nous apprend une autre différence entre
les comédies musicales francophones et anglo-saxonnes : ces derniers
semble plus intéressé par les capacités de jeu de
leurs acteurs que par leur plastique. Dans The Ten Commandments, les chanteurs
et chanteuses ne sont par conséquent plus tous des Bôgoss
et des Bonnasses. Les actrices jouant Bithia et Nefertari y gagnent en
crédibilité par rapport à leurs homologues français.
Notons aussi au passage que les producteurs US ont eu la bonne idée
d'engager de vrais enfants pour interpréter Aaron et Yokebed enfant.
Là encore, on y gagne en crédibilité. Par contre,
que tout ceux qui envisagent de se procurer ce DVD pour apprécier
le spectacle sans que celui-ci se transforme en concours de vocalises
comme le faisait la version française rangent leurs espoirs au
placard et ferment la porte à clef : ici, c'est pire.
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A
ce sujet, on ne s'attendait certainement pas au cours de ce spectacle à
tomber sur un sosie de James LaBrie dans le rôle de Joshua. Tout y
est ! Les longs cheveux ondulés, les yeux de nounours battu, les
crochets d'alarme de voiture ET les sales habitudes Samprassiennes qui nous
ont permis une hilarante capture d'écran. Et Val ? Pour ce qui est
du jeu d'acteur, en toute logique (tout de même) il se défend.
Pour ce qui est du reste, c'est un peu plus tangent. Les notes sont à
peu près bonnes (ou presque), mais comme dirait Goldman "y'a
les notes
et y'a la mesure". Dans le deuxième cas, et
pour la musicalité en général, le pauvre Kilmer fait
peine à voir, tant il est à la traîne par rapport à
tous les autres membres du casting. Il faut dire aussi pour sa défense
que faire chanter à un non-chanteur un morceau comme "Why Me
?", c'est limite dégueulasse. Autant demander à Alain
Delon de chanter "Insane" de Francis Lalanne. |
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Une
chose est sûre en tout cas, les amateurs du spectacle original ne
seront pas dépaysés par ce DVD. L'image est identique, jusqu'aux
effets vidéo quoique ceux-ci soient de bien meilleure qualité
que ceux ajoutés par Chouraqui. On regrettera juste que les authorers
aient bu. Annoncé en Widescreen au dos de la jaquette, le film
est en réalité en letterbox, zoomable sauf si l'on souhaite
profiter des sous-titres (complets et en 8 langues, encore mieux que le
VF, félicitations !). Les bonus par contre, sont bien en 16/9ème,
mais non anamorphique. Manifestement les priorités sont sujettes
à variations
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La
mise en scène non plus ne surprendra pas, du moins pendant les ¾
du spectacle. Extrêmement proche du travail original de Chouraqui
dans le style et les idées, elle ne s'en éloigne que pour
apporter une dimension supplémentaire aux personnages (Ramses est
un enfant gâté, Moses doute dès le début, Seti
apparaît moins froid, et Zipporah devient une vraie garce), ou pour
s'attarder sur des intrigues annexes, telles que le peuple hébreu
doutant de son guide, des thèmes largement au-delà de ce que
permettaient les idioties mielleuses des textes de Florence et Guirao, offrant
à cette version US l'aspect "péplum" qui faisait
quelque peu défaut à la version originale
Jusqu'à
la section finale. |
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Car
passé la mer rouge, les choses se gâtent. Les différences
culturelles fondamentales entre les pays sont, à mon sens, souvent
largement exagérées, car résultant généralement
d'une vue de l'esprit. Un européen se rendant au Japon persuadé
de s'envoler au cur d'une culture radicalement différente
y verra forcément ce qu'il s'attend à voir, peu importe
que là-bas il y ait des employés de bureau, des CD, des
jeux vidéo, des quartiers riches, des taudis, bref autant de choses
présentes dans tous les pays "occidentaux" de géographie
ou d'esprit, sans que celà tranche à ce point. Cependant,
de réelles différences savent parfois s'affirmer. Loin de
moi l'idée de vouloir sombrer dans un antiaméricanisme beauf
franchouillard que j'exècre au plus haut point. Simplement, je
constate que dans la version issue d'un pays à la culture laïque
(pour combien de temps encore je ne sais pas, mais bon), le final -par
conséquent la morale- des Dix Commandements se veut, bien que de
façon très niaise, un hymne à l'amour universel ;
dans celle issue d'un pays ayant pour devise "In God we trust",
le final se transforme en pure propagande religieuse.
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Jusqu'à
la mer rouge donc, tout va bien. L'effet de mise en scène est encore
plus réussi, l'arrivée des troupes égyptiennes en fond
est saisissante, mais juste après celà, le spectacle bascule
dans une longue demi-heure de prêchi-prêcha chrétien
absolument consternant. Ça commence avec un duo Ramses/Moses où
Ramses se voit contraint de reconnaître la Toute Puissance de Dieu
dans une séquence du style "et ben moi - mon Dieu - il est -
plus fort - que le tien euh !". Risible, mais si représentatif
des religions, qui réclament la tolérance pour elles-même
mais ne tolèreront jamais qui que ce soit d'autre. Puis, oubliez
la subtilité relative de la séquence du Veau d'Or version
Chouraqui. Après s'être lamenté pendant de longues minutes
sur son pauvre sort de peuple libre regrettant les coups de fouet (oui,
les gens sont cons à ce point là), v'là t-y pas que
les hébreux commencent à vouloir passer le temps en se secouant
les uns dans les autres sur le petit pont de bôas. |
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Et
là, tel un Philippe De Villiers égaré à 23h30
rue St Denis, débarque Val Kilmer criant "LUXURE ! LUXUUUUUURE,
impies descendants de Sodome et Gomorrhe, sordide humanité, vous
ne méritiez pas Giscard !" avant de jeter à terre les
Tables de la Loi. Puis, un enfant, - évidemment un enfant car pur
et innocent et tout ce que vous voulez puisque Oh Mes Dieux il ne pense
pas au sexe (Freud n'a jamais existé), ne fait jamais le mal et
ne ment jamais même lorsqu'il rapporte un 2/20 en Biologie créationniste
certifiée par le Vatican - un enfant donc, commence à réciter
les commandements un par un, en citant le texte original bien sûr,
et encore doit-on se réjouir, ç'aurait pu être en
Latin
J'arrête là, rien que d'y penser, ça fait
gerber. Les religions, ah les religions, toujours si promptes à
se jeter telles des vautours sur un corps encore chaud sur les gens frappés
par le malheur afin de faire la pub de leur prêt-à-ne-pas-penser
facile et totalitaire, les voilà donc qui se sont précipitées
sur ce pauvre spectacle pour en gâcher le final. On en vient à
regretter l'Envie d'Aimer. Il faut dire que c'est une envie qu'elles donnent
rarement.

22-02-2007
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